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AKHLYS.
En écumant rapidement quelques pages web, on apprend qu’il s’agit d’une déformation du nom donné par Hésiode à l’entité grecque d’Achlys, déesse représentant le malheur et les poisons, fille de Nyx, déesse de la nuit. Elle est également gardienne de la brume de mort qui vient, toujours dans la mythologie grecque, se poser sur le défunt juste avant son trépas. Charmante jeune femme donc.
Toute aussi charmante que la galette qui passe entre mes mains aujourd’hui, dont se dégage une aura mortifère, une attraction malsaine et indomptable, comme si l’appétit naturel de l’humain pour le morbide me poussait à regarder vers les atrocités qui se cachent de l’autre côté de ce disque…
Avant de se lancer sur la musique à proprement parler, faisons un rapide point sur son auteur et sa couverture, tout deux nous amenant à bien comprendre d’où sort ce petit bijou de BM US. Akhlys, c’est un projet créé par Naas Alcameth, assez présent dans la scène black US, notamment via Nightbringer ou encore Excommunion et Bestia Arcana. Tout d’abord versant dans le Dark Ambient (on y reviendra), le sieur a ensuite exploré différents mondes entre le black (avec les groupes susnommés), le post-black, l’indus et l’ambient plus classique, sans jamais lâcher l’aspect torturé et onirique qui lui colle à la peau. Pour l’artwork, il s’agit d’une œuvre de Denis Forkas Kostromitin. Si ce nom vous est familier, il est bien possible que ce soit pour l’excellent artwork de l’album « The Satanist » des polonais de Behemoth. Suivant toujours une patte « Néo Symboliste »*, la composition est simple, les traits du sujet sont distincts mais corrompus par un voile cauchemardesque : les dents sont aiguisées et dégoulinantes, les yeux que l’on devine sadiques se retrouvent masqués par une chevelure rappelant les nuages noirs qui annoncent la tempête, le buste absent laisse place à des tentacules qui se confondent à de la fumée… Cette approche de la noirceur me séduit car, tout comme la musique, elle semble tout droit sortie d’un cauchemar glaçant mais dont on ne pourrait pas détourner le regard…
* (Oui, je sais que ce courant n’est pas tout à fait légitime, en tout cas pour les plus wikipédistes d’entre vous. Cependant, je n’ai aucunement la prétention d’être critique d’arts plastiques, et c’est la formule que je trouve la plus adaptée pour décrire ce que je vois !)
Bref. Assez tourné autour du portail : il est temps de passer de l’autre côté et de voir ce que renferme vraiment cette galette.
La première chose qui frappe sur ce disque, c’est la maîtrise des ambiances. Comme pris au piège dans un train fantôme beaucoup trop réel, chaque riff, chaque pattern de batterie, chaque cri, chaque nappe de synthé, est soigneusement intégré au reste du paysage sonore afin de dépeindre l’Enfer dans ses traits les plus terrifiants. Il n’est selon moi pas question ici de l’Enfer au sens général, mais d’une vision bien plus personnelle et glaçante de celui-ci. Telle un démon créé de toutes pièce par l’inconscient, c’est bien une vision individuelle de l’horreur qu’Akhlys inocule dans la psyché de l’auditeur, reflet de ses angoisses les plus profondes. On sent bien par cette maîtrise des paysages sonores que le sieur Alcameth a versé dans des styles moins chargés et riches en ambiances auparavant. Il conviendra de souligner le très bruitiste mais non moins remarquable « Succubare » qui a su me faire raidir l’échine et instiller une certaine paranoïa en moi lorsque je travaillais sur cette chronique. (Une écoute attentive du disque en pleine nuit au milieu de la pénombre ? On ne m’y prendra plus.)
Le second point qui ressort de ce disque, c’est la production. Plaira ou ne plaira pas, il n’y a pas de juste milieu : la prod est propre au poil de cul. L’image stéréo est large et bien remplie, on remarque sans cesse de petits détails ici et là… C’est un vrai régal pour les geeks du son dans mon genre. A contrario, les puristes du Lo-Fi Black Metal, du raw, de l’énergie pure et des productions cradingues n’y trouveront surement pas leur compte. Aucune place n’est laissée au hasard et tout est mis au service du Malin. Si selon Nietzsche, le Diable est dans les détails, je peux vous confirmer qu’il se cache bel et bien au sein des 46 pesantes minutes de cette galette.
En conclusion, j’aimerais souligner un point. Je ne suis habituellement pas fan de Black US. C’est comme ça. Je trouve les productions américaines généralement artificielles et chiantes à mourir. Au-delà de quelques exceptions comme Wolves in the Throne Room ou Imperial Triumphant, cette scène a vraiment tendance à me laisser de marbre. Eh bien pas ici. Ce disque a su instiller de l’angoisse en moi pendant toute l’expérience. Et ce n’est pas ici une quelconque exagération éditoriale : j’ai ressenti un malaise profond à l’écoute de Melinoë. Rien que pour ça, ce disque mérite une attention de ma part, car ce genre d’émotions est difficile à manier avec autant de précision. Ensuite, entre la production au top et la composition qui a su me séduire, ce nouvel opus d’Akhlys est devenu, presque sans effort, un des disques qui m’ont le plus marqués en 2020. Ces trois critères font de lui un inratable du genre selon moi, et bien qu’ayant essayé de retranscrire au mieux mon expérience, je vous recommande chaudement de vous faire votre propre avis sur cette porte vers les Enfers de l’âme.
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