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C’est après une longue absence sur Ars Goetia que je me décide enfin à revenir parmi ma fratrie de démons. L’écriture, et plus encore la chronique, m’ont vraiment manqué. C’est avec un plaisir non dissimulé que je reprends donc la plume pour vous emmener avec moi au fin-fond de la Biélorussie, dans la ville de Polatsk (Полацк), tout au nord de cette contrée enclavée entre la Pologne, la Russie, la Lituanie, l’Ukraine et la Lettonie. Nous nous aventurons au milieu des plaines et forêts biélorusses et c’est à pas de loup que nous partons à la rencontre du septième opus du groupe.
Dès les premières mesures, le cadre se pose : des riffs sombres et froids émergent d’un épais brouillard, suivis de près par une rythmique synthétique contrastant avec les nappes de guitares très organiques. La voix se lève, déchirante, perçant à travers l’ambiance à la fois planante et mécanique, liant les deux dans les ténèbres, avant de s’évanouir brusquement dans un passage clean, instant de flottement avant le retour du mal. Il est impensable de ne pas souligner le travail sur la programmation, tant celle-ci est détaillée et intelligemment pensée. Les orchestrations sont toujours justes et tombent à point nommé. Je pense par exemple à ce violon et cet harmonica en fin de la piste d’intro, incongrus au sein d’un album de black, mais plutôt bien amenés et pleinement au service de l’ambiance du morceau, qui se termine justement. C’était donc une longue scène d’exposition au disque, mais ça y est, tous les éléments sont là, le décor est planté, les personnages introduits, et nous sommes là pour assister à la cérémonie. Il est l’heure d’entrer dans le vif du sujet.
Les biélorusses nous montrent définitivement leur savoir-faire avec ce disque, se baladant entre compositions tendant vers un black metal très inspiré par les plus grands maîtres du genre, et morceaux beaucoup moins traditionnels où cohabitent passages groovy et ambiances éthérées. Tout est fluide, les transitions sont là, l’expérience est plaisante. Il ne s’agit clairement pas d’un album monolithique : l’écoute est simple, agréable, sans accroc.
Enfin, c’est ce que j’aurais pu dire avant le début du troisième morceau : Uładar Ściužy (The Lord of the Forest). Gros blasts, riffs déchaînés, percussions martiales. L’armée des ombres s’est soulevée, et son avertissement est posé. Quel plaisir de se prendre une mandale du genre au milieu d’un disque de cet acabit.
Après quelques secondes passées à reprendre mes esprits, de doux arpèges viennent titiller mes esgourdes, inspiration, expiration, court instant de calme et de plénitude pour poursuivre cet album. Ou pas. C’est une explosion qui vient ensuite ébranler ma poitrine, me forçant à retourner à la poussière de laquelle je viens, une réincorporation douloureuse mais nécessaire pour la suite du disque, avec une montée en puissance digne d’un grand huit. Sentiment d’appréhension avant la chute. Et puis rien. Argh. C’est rageant. Mais bon, c’est sans doute le deathcore kid en moi qui me joue des tours en espérant un gros breakdown des familles. On ne dira rien. (#SorryNotSorry).
Mon envie de secouer la tête est cependant atténuée par le début de la piste suivante : les pieds ancrés dans la terre, Raven Throne nous sert la meilleure introduction de l’album à mon humble avis. Le riff est d’une lourdeur titanesque, accompagné d’un pattern de batterie activant directement le cerveau reptilien et d’une basse assourdissante (un peu trop même). La réaction ne se fait pas attendre, ma tête hoche et mon faciès se durcit, le pied. La suite du morceau est quant à elle teintée d’un black moderne et sans concession. Se rapprochant pas mal des premiers méfaits des lituaniens d’Au-Dessus, ce morceau est sans doute celui qui m’a le plus marqué sur cet album. Il se termine en s’évaporant dans un bruit de fond, chassé par une guitare folk plutôt mélancolique et une ambiance chargée de bruit blanc, de feedbacks et d’atmosphères électroniques, laissant un arrière-goût doux-amer dans la bouche et les yeux dans le lointain.
Les deux derniers morceaux de l’album se posent à mon sens comme un écho de la première piste qui mettait en lumière le cadre, et nous offrent un regard dur et froid sur les cendres de l’acte précédent : oscillant entre passages énervés, sections mid-tempo ou encore soupirs contemplatifs, c’est une synthèse du disque qui nous est présentée. Comme des flashbacks s’entremêlant, des souvenirs depuis bien longtemps égarés, floutés par la course effrénée de la vie, les derniers instants de l’album se ressentent comme une longue traversée du désert, une projection en noir et blanc de sa propre histoire, sonnant le glas de son existence. Les derniers vacillements d’une flamme qu’on souffle, un ultime au-revoir à un passage terrestre à la fois trop long et trop court. Le froid d’un linceul posé sur des yeux déjà clos, jetant toute conception préexistante par-dessus bord, avant de retrouver le noir, puis la lumière, et de les mélanger encore une fois sur une toute nouvelle toile. Ou pas, qui pourrait vraiment en témoigner ?
Pour conclure ce voyage sur les rives du Styx, et revenir au sujet de l’album, sa conclusion est aussi abrupte que ce retour à la réalité : en un quart de seconde, le temps reprend son cours et l’espace se remet péniblement de sa distorsion, le son s’évanouit et laisse place au silence. C’est alors que je me retrouve face à moi-même, à moitié conscient de ce qui vient de se passer : « Merde, il était quand-même ‘achement bien ce disque. ». Joli tour de force des biélorusses, chroniqueur heureux et sonné, joie et bonheur dans la chaumière.
Pour faire un rapide point sur ce qui m’a empêché de noter ce disque plus haut, il s’agit tout d’abord du mix parfois un peu brouillon par moments : la basse est régulièrement bien trop en avant, étouffant alors le kick et donnant une impression de bouillie dans le registre grave, et certains passages sonnent un peu trop mécaniques pour un album de black. Mais ces défauts sont bien entendu éclipsés par une écriture inspirée et intelligente, ainsi que par une énergie indéniable fournie par les musiciens.
Tracklist:
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