Lorsque j’ai entendu parler du projet d’adapter à l’écran la nouvelle de Howard Philip Lovecraft La Couleur Tombée du Ciel (1927), mon interêt a été quelque peu grandissant. Tout d’abord car c’est une de mes préférées (mais ceci n’a pas grande importance pour cette chronique, quoique…), mais également car adapter du Lovecraft relève presque de la légende. Comment retranscrire l’indicible (vous avez 4h) ? Comme réussir à retranscrire cette atmosphère si particulière sans verser dans le grotesque, le moche, le gênant, voire le cringe ? Et surtout, comment peindre visuellement cette couleur inconnue tombée du ciel et qui rend fou ?
Emprisonner l’essence de Lovecraft sur une pellicule est aussi périlleux que de manipuler une barrette d’uranium avec des gants de boxe : c’est ridicule, grotesque et potentiellement dangereux (quoi que l’un l’est plus que l’autre, je vous l’accorde).
Mais passons. Le Covid 19 (oui, je dis le covid, et je dis merde surtout) étant passé par là, le film se retrouve donc à sortir sur la plateforme de streaming Amazon Prime.
Faisons donc de rapides présentations avant de passer dans le vif du sujet. Le film a été réalisé par Richard Stanley (Hardware, 1991 ; Le Souffle du Démon, 1992 ; The Theater Bizarre, 2012) en 2019 et est présenté comme un film fantastique, SF et horrifique indépendant. Certaines libertés ont été prises par rapport à la nouvelle initiale, notamment l’action qui se déroule à notre époque ou encore le point de vue, qui est celui de la famille et non de l’ami de la famille.
Les Gardner sont une famille bobo gauchiste venue s’installer dans la ferme du paternel de Nathan Gardner (Nicolas Cage) sur le territoire de la Nouvelle-Angleterre, non loin de la ville d’Arkham (logique). Nathan a une femme, Theresa (Joely Richardson), atteinte d’un cancer du sein, une fille, Lavinia (Madeleine Arthur), et deux garçons, Jack et Benny (Julian Hilliard et Brendan Meyer). Mis à part les problèmes normaux de couple des Gardner, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Puis, une nuit, une météorite s’écrase dans leur jardin, émettant une vive couleur inconnue…
Jusqu’ici rien de bien palpitant (enfin, un peu quand même). L’accent est mis sur la normalité de la famille, quitte à pousser les clichés jusqu’à leur paroxysme : Lavinia est l’ado saoulée par tout et tout le monde, pratiquant la sorcellerie, Benny le grand frère fume de la weed chez Ezra, le hippie allumé qui vit sur le terrain des Gardner, et Nathan vit son rêve de changement de vie en plantant des carottes bio pendant que sa femme bosse chez elle et vend des actions en bourse (enfin quelque chose comme ça, ne m’en voulez pas j’y connais rien, mais en gros, elle gagne beaucoup d’argent). Le destin de tout ce petit monde va complètement basculer avec l’arrivée de cette météorite. On y apprend notamment que la maire de la ville souhaite faire expulser la famille car la maison se situe sur le site d’un barrage. Mais de drôles de choses commencent à se passer chez les Gardner. A commencer par la disparition du (gros) caillou et le puits qui émet une lumière de la même couleur que la météorite.
Je ne vais pas ici spoiler la suite du film. Celles et ceux qui connaissent la nouvelle savent, les amateurs de films d’horreur se contenteront de comprendre l’issue totalement fatale du truc. En effet, l’environnement des Gardner va changer, ainsi que leur psychisme, jusqu’à les rendre fous à mort. Tout ceci devant les yeux de Ward Phillips, un hydrologiste de l’université de Miskatonic venu faire des études de terrain pour la construction du barrage.
Alors, quoi penser de cette adaptation de l’une des nouvelles de Lovecraft sans doute les plus difficiles à adapter ?
Et bien, c’est pas si terrible que ça. Franchement. Là où le récit de Ammi Pierce dans la nouvelle se veut hésitant, éludant la réalité pour amplifier l’horreur, le réalisateur a choisi de nous plonger au coeur de la torpeur des Gardner et de leur longue descente aux Enfers, ce qui est plutôt une bonne idée. L’adaptation de la nouvelle est à mon sens la grande réussite du film. L’utilisation des technologies actuelles permet de donner une dimension plus proche au récit, un moyen de se connecter avec les Gardner, comme par exemple la TV qui s’allume toute seule ou le fait de pouvoir téléphoner sans comprendre ce que dit la personne. Les personnages sont bien travaillés, surtout celui de Lavinia qui finit par devenir vraiment attachant. Enfin, les clins d’oeil à l’oeuvre de Lovecraft sont légion, de l’université de Miskatonic en passant par l’exemplaire du Necronomicon de la jeune fille. L’équipe du film est fan, ça se voit et ça fait plaisir. Globalement, la descente est plutôt bien menée, ne laissant aucun survivant, pas même ceux que l’on soupçonne les plus robustes au début du film. Mais… il y a un mais.
Et oui, parce que sinon ce n’est pas drôle. Si j’ai pu trouver le début un peu gênant dans ses clichés, le film est vraiment parvenu à commencer de me convaincre. Et puis sont arrivés les idées trop… et les effets spéciaux pas assez… Bref, le truc qui casse un peu la baraque. Bien que les CGU utilisés pour faire naitre la végétation nouvelle générée par la Couleur sont plutôt pas mal, lorsqu’il s’agit de modéliser l’indicible, il vaut mieux s’abstenir. La tension qui commençait à prendre insidieusement racine au fond de moi s’est brisée aussi sec qu’un bout de bois sur lequel on marche. C’est moche, trop attendu, trop logique, pas assez abominable et totalement risible et ridicule finalement… Dommage.
J’en suis venue à me dire que finalement, si le réalisateur avait pris parti d’en montrer le moins possible, là on était bon. Baser le récit sur les expressions, les bruits, la lumière et la photographie. Là, il y avait du potentiel. Maiiiiis… L’équilibre entre le “parfait” et le “trop” est bien délicat. Et le film finit par se casser la figure pris dans ses propres extravagances non nécessaires (et trop chères). On n’est pas passé loin.
En sommes, Color Out of Space n’est pas mauvais et propose certaines vraies bonnes idées (notamment la scène de fin que j’ai trouvée assez convaincante). Peut être que certains y trouveront leur compte. J’y vois un film qui est passé à quelques millimètres de l’adaptation correcte de Lovecraft, c’est dommage mais je n’ai pas non plus eu l’impression de paumer 111 minutes de ma vie.
Mention spéciale à l’affiche que je trouve particulièrement réussie. Le pari de baser cette couleur nouvelle sur du rose fuchsia est plutôt pas mal je dois dire et donne un twist psychédélique et bien perché au film.
A voir, sans trop en attendre. Relire la nouvelle également, ça fait toujours plaisir. Et surtout, ne pas boire l’eau d’Arkham.
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