Pour cause de pandémie et de confinement, cette interview a été réalisée par mail. Découvrez l’historique du groupe, ce qui motive le trio dans leur musique et tous les détails de la composition du nouvel album disponible depuis le 17 juin dernier chez les bons revendeurs et les plateformes de streaming.
Ars Goetia : Raphaël peux-tu te présenter et nous présenter Nolentia ?
Raf : Salut ! Raphaël, mammifère omnivore friand d’amour et de bière fraîche, bassiste-braillard co-fondateur de Nolentia avec Ghislain, mammifère herbivore guitariste-guttural. Le trio est parachevé par le dernier arrivé, Valentin, lequel pratique la batterie avec fougue depuis environ un an avec nous.
AG : 2007, année de formation du groupe et très rapidement un Ep « Sell Your Soul to Grind’n Roll » en 2008 suivi du premier album « …One Loud Noise and It’s Gone… ». C’était important pour vous de rapidement composer et proposer du matériel ?
R : Il est en effet important d’avoir quelque chose à proposer quand on est inconnu au bataillon afin d’essayer de propager la « bonne » parole, donner du grind…heu du grain à moudre aux auditeurs avertis. C’est sans doute pour cela que les choses sont allées si vite aux débuts du groupe.
Ghis : c’est peut-être un peu moins vrai maintenant avec l’hyper digitalisation de la musique mais jusqu’à la fin des années 2000 avoir un disque physique donnait une certaine crédibilité pour pouvoir tourner.
AG : On sent une influence punk/grind très forte dans votre musique, c’est souvent un style de Metal qui favorise les revendications. En avez-vous avec Nolentia et si oui quelles sont-elles ?
R : Il y a en effet historiquement une culture revendicative héritée du punk dans ces styles de musique, bien que les choses ne soient plus aussi nettement exprimées aujourd’hui, si on prend l’exemple des sous étiquettes « porn » ou « gore » accolées au grind et qui ne revendiquent pas grand-chose (à part la déconnade, bien sûr !). Sans se prendre au sérieux, ce n’est pas dans cette veine qu’on se situe : faire de la musique agressive est un prétexte trop beau pour se priver d’exprimer des choses violentes en cohérence avec notre musique et le monde dans lequel nous vivons. On n’a pas résisté à la tentation.
G : Je n’irais pas jusqu’à dire que chacun de nos morceaux porte une revendication ou exprime une rébellion, néanmoins nos paroles s’inscrivent dans la veine politique / écologique / humaniste du grind ou du Metal en général. Mais nous nous sommes d’emblée interdits de donner dans le bas-du-front, des paroles simplistes aux slogans adolescents ou la provoc’ prépubère. Notre parti pris est plus philosophique, quelle est notre part de responsabilité individuelle face à telle ou telle situation ? Quel état d’esprit adopter, sous quel angle aborder le problème ? Etc. Toujours en évitant de se poser en donneurs de leçons.
AG : Rapidement des tournées avec des groupes incontournables de la scène extrême comme NAPALM DEATH, MAGRUDERGRIND, MUMAKIL, GADGET, ROTTEN SOUND, NOSTROMO. Comment se passent de telles tournées pour un groupe moins connu dans vos relations avec les autres artistes et avec le public ?
R : Nous n’avons pas vraiment tourné avec la plupart des groupes que tu cites mais nous avons effectivement eu la chance a minima de partager la scène, d’échanger avec eux, que ce soit des amabilités, des bières, voire des disques… Tout dépend ensuite du contexte (on aura moins de temps en festival, ce sera a contrario plus propice à la rencontre sur un concert unique avec seulement 3/4 groupes sur l’affiche), mais aussi de l’interaction entre les groupes. Avec certains ça accroche immédiatement et les liens peuvent perdurer, avec d’autres moins…un peu comme dans les autres moments de la vie quoi !
AG :Une anecdote de tournée à nous raconter ?
R : Allez une parmi tant d’autres : on est tombés en panne d’essence entre Paris et Clermont à 200m d’une station-service… manque de bol cette dernière était en haut d’une butte et il a fallu pousser le camion en montée jusqu’à la pompe !
AG : Une tournée à Cuba, comment cela a pu être possible ?
R : Grâce à une conjonction de facteurs favorables. Tout d’abord il y a un Français amateur de Metal qui vit là-bas et connaît bien la scène, notamment française. Nous avons ensuite pu nous raccrocher à une tournée qui s’était montée avec 5 groupes dont 3 français et 2 Toulousains (avec feu Drawers). Nous avons ensuite pu recueillir les autorisations nécessaires, ce qui est toujours fastidieux, surtout du côté cubain, à plus forte raison à une période où Fidel Castro n’était pas au top de sa forme… Je me souviens que je craignais que tout soit annulé pour cause de deuil national. Il a heureusement eu la délicatesse d’attendre que nous fassions notre tournée avant de décéder. On l’en remercie encore…
AG : Comment s’est passé l’accueil de votre musique au pays de la salsa ?
R : Les Cubains n’aiment pas que la salsa, heureusement pour eux… et pour nous ! Ceux qui venaient nous voir étaient des vrais amateurs de Metal, il y avait finalement assez peu de curieux et les gens savaient donc pourquoi ils étaient là. Les réactions étaient assez différentes en fonction des groupes (ça allait du néo-métal au grind en passant par le stoner), des conditions, du public dans chaque ville etc. Globalement l’accueil de notre musique était chaleureux, même si chaque date était vraiment à part, et dans des conditions extrêmement variables : on a joué dans de « vraies » salles, mais aussi quasiment dans la rue, ou encore dans un théâtre… c’était toujours différent, souvent surprenant.
AG : Les cubains sont friands de metal extrême, une raison à ça ?
R : Hum, difficile à dire mais on peut toujours avancer plusieurs hypothèses : un rejet de la musique la plus populaire et la volonté de se différencier, l’aspect intrinsèquement « rebelle » du rock au sens large, ou encore les concerts de quelques groupes mythiques qui avaient réuni des milliers de personnes (le passage remarqué de Sepultura en 2008 est sans doute le meilleur exemple). D’une manière générale l’accès à la musique « étrangère » était très difficile ne serait-ce que parce que l’internet était hors de prix et des passionnés se saignaient pour télécharger un groupe. Dans ces conditions je pense que ce type de musique difficilement accessible n’en devient que plus précieux à leurs yeux…
AG : Les multiples expériences scéniques ont-elles eu une influence sur votre musique et sur votre jeu de scène ?
R : Plus ou moins consciemment mais je pense que oui, cela a un impact sur notre musique car il est difficile de ne pas projeter un nouveau morceau testé en répétition dans les conditions d’un concert. C’est simplement à nuancer par le fait que certains titres ne sont pas destinés à être joués sur scène mais cela ne nous empêche pas de les écrire et les enregistrer si nous en avons envie.
Et pour répondre à la deuxième partie de ta question, il est en effet dans la logique des choses que l’expérience scénique que l’on se forge influe aussi sur les prestations suivantes, bien qu’on ne puisse pas réellement parler de « jeu de scène » nous concernant, c’est quelque chose de très brut, instinctif et peu calculé…
AG : 2020, 3ème album « Deaf/Mute (and none the wiser) » via No Master’s Voice Records. Nous sommes en pleine pandémie, période difficile pour la promo ; quel a été l’accueil auprès du public ?
R : Le contexte actuel ne nous permet pas d’avoir un contact direct avec le public, il est donc très difficile de parler de l’accueil du nouvel album puisque nous n’avons pas encore pu le défendre sur scène… La promotion est également difficile. Nous nous contentons de quelques retours directs de personnes ayant acheté ou écouté l’album et de quelques chroniques. Ces retours sont positifs mais trop peu nombreux pour pouvoir jauger sa réception d’un point de vue global.
AG : Peux-tu nous décrire le processus de composition et d’enregistrement ?
R : Le processus de composition a été un peu différent cette fois-ci : nous avons davantage pensé l’album comme un tout cohérent, avec moins de titres que sur les précédents albums et des enchaînements plus travaillés entre chacun.
Pour l’enregistrement, notre grand sachem Laurent Bringer nous a proposé de faire ça au Waïti Studio de Toulouse (chez Yannick Tournier). Pour la première fois nous avons enregistré tous ensemble dans la même pièce (en prises « live » comme on dit en Britanie), ce qui a forcément nécessité une préparation correcte. Au final on s’est en est plutôt bien tirés et on est ravis d’avoir pu retranscrire cette cohésion. Seuls les chants ont bien sûr été enregistrés séparément.
AG : Que Nolentia véhicule-t-il avec ce 3ème album et/ou quel en est le concept ?
R : Je ne sais pas si on peut parler de concept à proprement parler mais je préfère laisser le spécialiste maison en parler.
G : Oui on peut parler de concept, mais plus comme une thématique sous-jacente dont les différents aspects ou manifestations sont abordés et développés au travers des morceaux. En l’occurrence avec Deaf / Mute il est question de dissociation cognitive, des mensonges et compromissions ordinaires derrière lesquelles nous nous abritons quotidiennement pour nous donner un semblant de cohérence, de pureté, entre nos actes et leurs impacts sur le monde, proche ou loin. Comme se revendiquer omnivore par exemple !
AG : A l’écoute, on sent une évolution vers quelque chose de moins agressif mais de plus chaotique avec un chant plus varié et des sonorités claires et dissonantes, quelle en est l’inspiration ?
R : Comme expliqué lors d’une question précédente, l’album a été pensé un peu différemment cette fois-ci, les morceaux eux-mêmes ont également été plus fouillés du point de vue mélodique, afin de donner une couleur un peu plus dissonante qu’à l’accoutumée. Je pense que cet apport fait que l’ambiance générale s’en ressent. C’est ce vers quoi on voulait tendre en tous cas…
AG : Y a-t-il des titres qui vous ont marqué plus que d’autres lors de la composition ? Si oui, lesquels et pourquoi ?
R : On a tous nos chouchous dans un album ! A mes yeux « Dismissed » a une place particulière, essentiellement pour son riff principal, à la fois dissonant et accrocheur. Il y a aussi des titres forts comme « Vicarious murder » (que nous avons d’ailleurs choisi pour en faire un clip), « The Golden Galf », « Prepared to fail » (notamment pour sa fin) ou encore « Severance » (dans un registre inhabituel mais gratifiant à mes oreilles).
G : Pareil que Raf, j’ajoute « (unconditional) Love » pour sa lourdeur lancinante.
AG : Vos pochettes d’album sont très changeantes, quelle importance le groupe y attache-t-il ? Sont-elles en rapport avec l’univers du disque ? Comme exemple, peux-tu nous expliquer celle de Deaf / Mute ?
R : Ghis serait mieux placé que moi pour en parler (car c’est lui le coupable), si tu permets je lui passe la main.
G : Historiquement nos pochettes obéissent à deux principes, elles doivent effectivement être en rapport avec ce qui se passe dans les baffles tout en évitant les clichés de l’imagerie Metal ou underground en général. Rétrospectivement ce n’est pas toujours réussi et surtout, ce n’est pas simple parce que Raf est particulièrement pointilleux ! Ici il s’agissait de représenter la dichotomie entre l’illusion de calme, de paix intérieure, et le tumulte du monde extérieur, la fuite de nos responsabilités…



AG : Pas de concerts, comment s’organise la promotion de l’album pour le faire connaître et le vendre ?
R : Comme on l’évoquait plus haut, la promotion est pour l’instant difficile, comme probablement tous les groupes à notre échelle, pour lesquels la scène reste le meilleur vecteur de diffusion. On arrive à en disséminer quelques-uns par correspondance mais il nous tarde de pouvoir jouer devant du monde pour pouvoir donner une véritable existence à cet album, qui le mérite à nos yeux/oreilles !
AG : Des dates prévues pour 2021 même si l’horizon semble encore bien pessimiste
R : Rien de prévu pour l’instant, ça semble trop aléatoire de monter une tournée à l’heure actuelle. On va tâcher de profiter de ce temps pour à la fois peaufiner les morceaux avec la nouvelle formule et se pencher sur du neuf…!