Préface: Pilori a sorti son premier album ‘A Nos Morts’ le 15/05/2020 en format digital. C’est à notre sens une belle réussite qui s’installera avec les honneurs dans le paysage du crust français. A l’occasion de la sortie de cet album en format physique le 26/06/2020, Pilori nous offre une interview pour nous parler de leur pépite. Nous vous invitons également à lire notre chronique.
Messieurs merci de nous accorder cette interview ! Votre premier album est globalement très bien accueilli par la presse. ‘A nos Morts’ semble avoir conquis le coeur des deatheux grindcoreux blackeux crusteux. Vous avez mis le paquet sur la production et les invités (Dylan Walker et Matthias Jungbluth) laisseraient rêver de nombreux groupes ! Comment décririez vous ‘A nos Morts’ et son incroyable rendu à nos lecteurs ?
Gr. (chant) : Et bien déjà, merci à toi de nous accorder cette interview. Ensuite, pour essayer de répondre précisément à cette longue première question, je vais très certainement faire une longue première réponse. Désolé. Vous pouvez sauter et passer directement à la seconde question si ça vous emmerde. Cependant, je ne garantis pas que la réponse sera plus courte. Sinon, je ne saurais pas comment décrire réellement « À Nos Morts ». Parce que je ne serais pas objectif, parce que j’ai beaucoup trop eu la gueule dedans, parce que je l’ai beaucoup trop écouté. Juste, c’est notre premier album, et on y a mis beaucoup de cœur et aussi beaucoup de passions. Ça fait hyper cliché et con de dire ça, mais c’est vrai. On n’y est pas allés en mode blasés ou dans l’urgence, on y est allés avec beaucoup de plaisir, de motivation, d’envies, mais aussi beaucoup beaucoup de rigueur. On n’a pas essayé de faire un truc qui doit sonner comme ça ou doit sonner comme ci, on ne s’est pas focalisés sur le fait de lui donner une identité précise. On a juste essayé de faire ça bien, de faire de notre mieux, en prenant, comme déjà dit, du plaisir, et en essayant de faire le maximum afin d’être vraiment satisfaits et fiers du résultat. Donc, ça a été beaucoup de préparation en amont, on a pas mal bossé, afin de ne pas arriver en studio sans connaître le tempo de tel morceau, ni ses propres placements ou, encore pire, les placements des autres. Genre l’éternel « ha ouais tu joues ça toi sur cette partie ?! » quand tu enregistres une chanson que tu joues depuis des mois ; ou encore ton batteur qui n’en met pas une dedans et toute ta batterie se retrouve ainsi éditée pour ressembler vaguement à un truc. Voilà comment je décrirais «À Nos Morts ». C’est surtout par son processus de création et la mentalité avec laquelle on y est allés. Je pense que c’est la meilleure chose pour décrire un rendu final. C’est le chemin que tu empruntes. Le résultat, on s’en fout. Ça ne sert à rien de penser à l’arrivée si tu ne sais pas comment y aller. Le reste s’est fait tout seul, très naturellement. Ce que l’on y entend, c’est une composition que l’on a voulu soignée, mais pour autant, on n’a absolument pas changé notre façon de bosser. Ça reste tout de même très très instinctif, très primitif limite, car c’est comme ça que l’on a toujours écrit nos morceaux. On écoute tous énormément de styles et de genres différents, on est tous influencés par énormément de choses et de groupes différents. Donc tout ça se retrouve forcément ici. On aime autant Darkthrone et Immortal que Morbid Angel et Deicide que Converge et Cult Leader que Nails et Magrudergrind ou encore que Eyehategod et Cowards. Et je pourrais aussi citer des trucs plus post, plus émo, plus mélo, plus vieux, plus récents… Je pense qu’il y a, fort logiquement, un peu de tout ça là-dedans. On est toujours influencés directement ou indirectement, consciemment ou non, par quelque chose. « À Nos Morts » est peut-être notre premier album, mais le groupe a déjà 4 ans quand même. On a beaucoup joué, mais on n’avait pas sorti beaucoup de trucs. On est moins prolifiques que nos potes de Fange par exemple ! En tout et pour tout, on a une démo et un split qui étaient sortis en physique, et nous avions aussi enregistré un morceau pour un clip, morceau qui se retrouve également sur l’album d’ailleurs (le titre « La Grande Terreur »). Du coup, lorsque l’on a entrepris l’album, chose qui nous trottait dans la tête depuis longtemps bien sûr, on s’est dit que l’on voulait faire les choses bien. Pas pour en mettre plein la vue, pas pour jouer à celui qui a la plus grosse. Juste parce que ne servait à rien de le faire pour le faire à moitié. Si déjà toi t’es satisfait de ce que tu as produit, si le rendu te plaît vraiment, c’est beaucoup. On a donc pris notre temps pour le faire, mais aussi pour bien s’entourer, et travailler avec des gens qui font un taf que l’on apprécie tout particulièrement. Cyrille Gachet par exemple, qui a fait le mix de l’album, on aimait bien ses prods. Et ça a été un grand plaisir de travailler avec lui, il a fait un super boulot. On a eu énormément d’échanges, de discussions, rien n’a été bâclé ou fait dans l’urgence, tout a été pensé, réfléchi. C’était cool. Brad Boatright, qui a fait le mastering, est reconnu pour être une pointure dans le genre que l’on fait. On est allés chez lui parce que son nom se retrouve sur bon nombre de groupes et de disques que l’on écoute, que l’on aime, qui nous influencent. C’était du coup assez logique. Et en plus extrêmement agréable de bosser ainsi, avec des personnes pros et rigoureuses. Je n’avais jamais travaillé de la sorte, c’était une expérience enrichissante. Quant aux invités, Matthias est un ami, on a beaucoup joué avec Fange, on est proches, j’avais d’ailleurs moi-même fait un featuring avec eux lorsqu’ils ont joué au Hellfest par exemple. Dylan Walker s’est retouvé là car on a ouvert pour Full of Hell à Paris, et pour nous, fans de ce groupe, c’était déjà beaucoup. J’ai discuté avec lui d’un possible featuring, en mode « qui ne tente rien n’a rien ». Il m’a dit « pourquoi pas, faut que j’écoute ». Quelques mois plus tard, je lui ai envoyé les maquettes, il m’a dit ok, et lui aussi a fait ça très consciencieusement. Bref, on a mis le « paquet » comme tu dis aussi parce que l’on n’a plus 16 ans, parce que l’on voulait être fiers du résultat et pas juste se contenter du moins pire. Fini d’enregistrer 15 morceaux en une après-midi dans ton local de répète, puis de faire mixer ça par ton pote qui a un logiciel de son cracké sur le net. On l’a tous fait par le passé dans différents groupes. Je ne le renie pas, je ne crache pas dessus, c’est aussi très formateur et il faut absolument passer par là. Mais bosser à l’arrache, dans l’urgence, sortir un truc bancal et pas carré avec un son de chiotte, c’était non. Surtout pour un premier album. Je me dis que si on a beaucoup de chroniques très positives, et, encore plus important pour moi, beaucoup de retours plutôt dithyrambiques du « public » jusqu’ici (et on en est les premiers surpris), c’est pour toutes ces raisons. Après, je suis vraiment mal placé pour parler du rendu en lui-même. Je peux être arrogant et grande gueule mais je ne suis pas prétentieux et je ne manque pas d’humilité. Le mieux c’est de l’écouter et de se forger sa propre opinion. Chacun y voit et entend ce qu’il y veut.
Gu. (batterie) : Je vais être peut-être un peu plus direct dans mes réponses car notre chanteur dit déjà bien les choses. Pour ce premier album, nous avons simplement suivi nos intuitions, notre feeling, le tout dans une bonne humeur constante. On s’est écoutés nous et entre nous. Pour ma part, faire un album tel que celui-ci était un rêve de gosse. Donc j’y ai absolument mis toute mon énergie positive. Même si je suis la plupart du temps loin de mes confrères du fait que je réside en Pologne, cela ne m’a absolument pas empêché d’être très présent tout au long de ce formidable et passionnant processus. Lorsque l’énergie est présente, on peut tout faire. Pour ‘À Nos Morts’, nous avons tous voulu, à notre modeste échelle de musiciens du dimanche, sortir quelque chose de sérieux, que l’on aime et avec ce qu’on sait faire. On n’a pas essayé de se dire « il faut faire comme… ». C’est sorti comme ça, très spontanément, c’est tout. D’ailleurs, pour l’anecdote, le premier titre de l’album « Que La Bête Meure », nous l’avions composé directement en répète en moins de 30min. Côté album, nous avons veillé à travailler avec des personnes qui nous ressemblent et avec ou pour lesquelles nous nous entendons bien, avons un bon feeling. Ça joue forcément dans le résultat final. Si tu veux un résultat sincère, il faut travailler avec des personnes qui comprennent ta démarche. Par dessus tout ça, nous nous entendons tous très bien. Ce point est extrêmement important et va au-delà de tous les à-côtés pour offrir quelque chose de potable qui peut durer. Pour finir, j’ai tellement écouté l’album lors de la phase de mix et la phase du mastering que je suis encore incapable de savoir si il est vraiment bien. Mais je suis heureux de voir que ça plaît. Je suis le premier étonné. En tout cas, nous y avons mis tout notre cœur, notre sincérité et si ça se sent, c’est le principal.
Vous avez pas mal tourné, avec des groupes bien connus, justement Full of Hell et Fange. Je vous vois très à l’aise sur la scène, avec le nouvel album on se demande légitimement si une nouvelle tournée est au programme ?
Gr. (chant) : La scène c’est ce que je préfère, mais je pense que je peux parler aussi au nom des autres pour affirmer cela. On n’est pas des musiciens de studio. On n’est même pas des musiciens tout court de toute façon ! Après, le studio, c’est évidemment très différent de la scène, c’est même diamétralement opposé, et si ma dernière expérience d’enregistrement fut tout de même très agréable, je préfère jouer, sans nul doute. De toute façon, on a monté Pilori, le guitariste et moi, à la base uniquement dans le but de jouer le plus possible en live. Si tu trouves que l’on est « à l’aise », c’est parce que l’on aime vraiment vraiment beaucoup ça, tous autant les uns que les autres. Il n’y en a aucun qui traîne la patte. En même temps, ce serait con de faire parfois 6 ou 7h de route pour aller jouer, et que cela nous fasse chier une fois sur place. Et puis, on n’est pas des pros. Ça joue beaucoup je pense. Pilori, c’est pas notre métier. On ne gagne pas nos vies avec ça, on prend sur notre temps perso, on a des tafs, des familles, etc.. On n’y va pas comme à l’usine. C’est certes bien plus qu’un hobby et un passe-temps, c’est une vraie passion. Je me répète, je radote, mais je vais encore évoquer la notion de plaisir. J’aimerais encore faire davantage de dates, de tournées, parce que c’est devenu une vraie passion tout simplement et que j’y prends du plaisir. Pas forcément pour gagner de l’argent avec. Oui, ma passion c’est de me retrouver dans un van avec des types, manger des sandwichs triangle hors de prix sur une aire d’autoroute, dormir sur un matelas gonflable à 5 dans la même chambre sur le sol de l’appartement d’un inconnu, tout ça pour jouer un set de 25 minutes parfois devant 15 personnes. Mais toutes les passions sont un peu connes, non ? Bref, je vais enfin répondre au lieu de digresser : il y a des trucs très cools dans les tuyaux oui, mais il faudrait déjà commencer par pouvoir rejouer. Là, on a annulé plus de dates que l’on en a validées. Mais quand ça reprendra, je l’espère au plus tôt, on va beaucoup jouer oui, enfin le plus possible à notre échelle. Il y a deux tournées à l’étranger qui se trament, dont une où il faudra plutôt prendre l’avion qu’un van pour y aller, et plein de dates ici et là. Mais on en reparlera quand on pourra. Là, je ne préfère pas trop en dire.
Gu. (batterie) : Si tu nous sens très l’aise sur scène, c’est parce-qu’on est contents ! C’est super de pouvoir partir avec tes amis, visiter de nouveaux endroits, rencontrer de nouvelles personnes etc. C’est un peu l’aventure et il y a toujours des imprévus. C’est génial tout ça. Ça donne de l’énergie pour jouer le soir. En plus, le groupe, c’est pas notre travail. Mais nous avons tous un taf qui nous permet d’être flexibles et de partir. Pour ma part, je suis freelance donc je peux m’organiser. Comme le dit Gr., en effet, on a pas mal de choses dans les tuyaux. Tout dépendra aussi de ce qui se passe dans le monde. Mais oui, on a un plan en particulier qui nous permettrait de prendre l’avion pour la première fois dans le cadre d’une tournée. On est déjà tout excités. On annoncera cela lorsque ça sera acté.
J’imagine que vous avez eu des belles expériences sur scène, pouvez vous nous révéler votre plus beau souvenir ?
Gr. : En fait, ce qui est drôle, c’est que ce ne sont pas forcément les belles dates avec du monde et de bonnes conditions qui sont les souvenirs que l’on raconte le plus. Bah oui, si tout se passe bien, tu veux raconter quoi d’excitant ? Je crois que ce sont les pires concerts, les plus tordus, où rien ne va, que je préfère mettre en avant. C’est toujours ceux-là que j’évoque en premier généralement. Car ce sont les plus drôles en réalité. Genre, lors d’une tournée en Europe de l’Est avec Fange, on a joué à Brno, en République Tchèque, dans un rade super classe en plus, mais où on s’est littéralement fait racketter par les patrons du bar qui ne voulaient pas nous payer, allant même jusqu’à nous demander de la thune pour que l’on paye nous-mêmes leur ingé-son en carton que l’on n’avait même pas vu de la soirée. Ça a fini en grosse embrouille sur le parking au moment où on chargeait le van, et le patron, sorte de marmule aussi large que haute, passe des coups de fil dans une langue que tu comprends pas, puis finit par te poursuivre en Hummer dans les rues d’une ville que tu ne connais pas. On s’est ainsi retrouvés à essayer de le semer, puis, après avoir réussi, à rouler le plus loin possible, finir par dormir dans un hôtel dans une ville complètement paumée de République Tchèque où des routiers jouaient aux machines à sous toute la nuit. Ou encore, par exemple, à Mons, en Belgique, où on a joué dans un rade super crade, mais vraiment super super crade. Le patron nous offre, pour manger, du taboulé premier prix qu’il fait tomber par terre avant de te servir, puis te fait dormir dans le bar, sur des matelas tachés, notamment de sang et d’autres matières que je n’ose imaginer, sans chauffage, alors qu’il fait 2 ou 3 degrés dehors. Voilà, ça c’est un bon souvenir à raconter. Alors bien sûr, ce ne sont pas ces dates-là qui te motivent à en faire toujours plus, et, fort heureusement, il y en a eu très peu des comme ça. Ce sont bien sûr celles avec du monde, celles où tu partages la scène avec un groupe que tu aimes, ou avec un groupe de potes, où le public se bouge, te demande un rappel, vient t’acheter du merch après, dans une belle salle, avec un bon son, un bon accueil, etc… qui sont les meilleures dates, celles qui te motivent ; mais force est de constater qu’elles sont moins drôles et que les meilleures anecdotes viennent des moments les plus tendus, les plus improbables. On s’en fiche un peu quand tout se passe bien, quand tout est trop beau, trop facile, non ? Comme a dit Tolstoï « Les Gens heureux n’ont pas d’histoire à raconter ».
Gu. (batterie) : Je rejoins Gr., les meilleurs souvenirs à raconter sont parfois les plus inconfortables ! Je n’étais pas encore arrivé dans le groupe lors de l’épisode République Tchèque ci-dessus. Mais il y en a deux qui me reviennent souvent. Le premier, c’était à Groningen lors de ma première tournée avec Pilori, que l’on partageait avec Nuisible. On a joué dans un squat de punks où il faisait genre 4 degrés. Je m’étais chauffé les pieds et les poignets au max pendant 30min sans m’arrêter pour avoir un tout petit peu chaud et pouvoir jouer. Juste après, j’avais faim et un gros gâteau arrive sur la table du bar. J’ai coupé une part en pensant que c’était juste un dessert, bref tout ce qu’il y avait de plus normal. Je commence à engloutir une grosse part de gâteau et juste avant que ça parte dans l’œsophage, Damish, le bassiste de Nuisible, me dit : « T’es sûr que c’est que du gâteau ? Regarde la tête des gens au bar. » Constatant qu’il y avait très probablement quelques plantes à l’intérieur en plus du beurre et de la farine, j’ai tout recraché pour tout mettre dans la poche arrière de mon jean. Merci à lui. Le deuxième souvenir qui me vient, c’était à Toulouse lors du Guillotine Festival avec Barque, Worst Doubt, The Third Eye, etc… On avait joué dans une salle où il faisait tellement chaud… Je pense vraiment qu’il faisait au moins 50 degrés si ce n’est plus. Certainement le concert où j’ai le plus souffert derrière une batterie. En plus, bien évidemment, pas d’eau à côté de moi…
On note des agencements cinématographiques drôlement bien trouvés sur “La Grande Terreur” ou “Que la Bête Meure”. Aurait t-on un expert du 7è art dans le groupe ou tout au moins un fan de Claude Chabrol ?
Gr. : Oui, moi. J’ai fais nos trois clips, dont deux à partir d’images d’autres films. Je ne dirais pas que je suis un fan de Claude Chabrol même si c’est très certainement, pour moi, l’un des meilleurs réalisateurs de la Nouvelle Vague, devant, par exemple Godard. J’aime plusieurs de ses films. « Que la bête meure » en fait bien sur partie, mais mon préféré reste « La cérémonie », avec Isabelle Huppert et Sandrine Bonnaire. Bref, le cinéma est ma grande passion, avant la musique et les tournées.
Gu. (batterie) : Oui, l’expert du 7e art c’est Gr. Il est aussi le plus à même de le faire car il peut aisément y trouver du sens avec ses paroles.
En parlant clip, “Le Baiser” nous montre qu’il ne faut pas déconner avec vous sur le plan sentimental. Plus sérieusement, on ne l’entend pas forcement, mais vos textes sont particulièrement soignés. Pour ne citer qu’”Apnée”:
Mon pouls résonne. Le bruit s’éloigne, se noie dans le temps. Je ne suis qu’un fantôme, le flou sur la photo, moi qui voulais être l’insecte prisonnier de l’ambre. Les rocs du passé deviendront craies à être heurtés par les vagues du présent. Puis nous finirons par dériver, nimbés dans le linceul des flots. En apnée. Et si la peur de la mort, plus forte que la raison de vivre, m’asphyxie, je t’en demande pardon.
La qualité d’écriture ainsi que les thèmes abordés montrent une belle profondeur. Vous créez également des atmosphères musicales très sombres et jouez avec aisance sur de fortes tensions. On sent une sincère volonté de connexion avec l’auditeur ?
Gr. Sincère volonté de connexion avec l’auditeur ? Je ne sais pas, enfin je ne crois pas non. Je ne sais même pas ce que ça veut dire en fait. Nous n’avons jamais rien écrit ou composé en pensant à celles et ceux qui l’écouteraient. On ne pense jamais à un potentiel auditoire lorsque l’on compose. Au fond, je pense que notre démarche est très très personnelle. Nous écrivons pour nous, des morceaux qui nous plaisent à nous. On écrit Pilori pour Pilori ! On ne se soucie pas de comment ça va être reçu, est-ce que ça va plaire, est-ce que ça va créer une quelconque connexion avec l’auditeur, blablabla… Ce n’est pas du tout narcissique ou égocentrique, et encore moins méprisant ou je-m’en-foutiste, c’est juste que c’est la meilleure façon de faire. Si tu commences à écrire pour les autres plutôt que pour toi, je pense que c’est le meilleur moyen de faire de la merde. Toute la soupe que tu entends partout, et/ou tous les bons groupes qui sont finalement devenus bidons, ça doit en grande partie être à cause de ça : le fait de vouloir écrire, à un moment, pour les autres et non plus pour soi. Dans le but de plaire. Ça marche pour tout. Tiens, on parlait cinéma, et je pense qu’un film fait de manière très intime et personnelle sera toujours plus sincère et authentique dans sa démarche qu’un blockbuster commandé par un gros studio dans le but de plaire à un public extrêmement large. Plus tu essayes de toucher beaucoup de gens, et moins c’est pointu. C’est mathématique. Nous, on compose et on développe les morceaux vraiment pour nous, jusqu’à temps que nous soyons satisfaits, et c’est la façon la plus honnête et la plus sincère de travailler. Sinon, au passage, merci beaucoup pour ta critique sur la qualité d’écriture. Ça fait, évidemment, plaisir que tu t’y attardes. Je ne sais pas si j’aime la littérature, mais en tout cas, j’aime lire et écrire oui. Même si je le fais beaucoup moins que ce que je devrais et aimerais le faire. Ces textes, je les ai aussi écrits pour moi. Dans une démarche totalement personnelle. J’avouerais même que je n’ai pas forcément pensé aux autres membres du groupe en écrivant, même si ils ont bien entendu un droit total de regard, et même le droit de dire « non » si ils n’aiment pas, mais ils me laissent super libre là-dessus et me font confiance donc c’est cool. Mais j’ai écrit pour moi en premier lieu, sans chercher à plaire, sans chercher à en mettre plein la vue avec mon dictionnaire des synonymes pour trouver des mots pompeux dont j’aurais oublié la signification après les avoir écrits. J’ai assez confiance en moi pour écrire pour moi, sans avoir besoin de l’approbation générale. Le thème principalement abordé dans « À Nos Morts » est justement la mort, dans le fait qu’elle est inéluctable pour chacun d’entre nous et que nous allons absolument tous y passer, même les influenceuses Instagram. Quand je dis « À Nos Morts », je ne parle pas de celles et ceux qui sont déjà tombés, de nos proches qui sont déjà partis, mais de nos propres morts à venir, à chacun d’entre nous. Le temps qui passe, le fait de vieillir, m’obsède de plus en plus. Le fait que tout cela aura une fin. Où ? Quand ? Comment ? Qu’est-ce que je ferai du temps qui m’est imparti d’ici-là ? Plus je vieillis et plus j’y pense. On finira tous par aller plus souvent à des enterrements qu’à des mariages. C’est le thème récurrent de l’album car c’est une question récurrente pour moi. Bon ça va, c’est facile, la mort c’est universel, ça touche tout le monde. Il n’y a pas plus commun comme sujet. Beaucoup pensent que c’est l’amour le thème universel par excellence, il n’y a qu’à voir le nombre ahurissant de chansons ou de films d’amour, dans tous les styles possibles et imaginables, qui sortent. Alors qu’en fait, on ne tombera pas forcément tous amoureux un jour. Par contre, nous allons tous mourir. Le temps passe, on se rapproche tous inexorablement de la fin. Et nous n’y pourrons jamais rien… J’y aborde aussi, dans 2-3 autres morceaux, le thème de la vanité. Ça a toujours été et ce sera toujours d’actualité, mais aujourd’hui c’est ultra-boursouflé avec les réseaux sociaux. Le narcissisme et l’individualisme ne datent pas d’hier, mais sont tout de même ultra-présents aujourd’hui. Les gens se mettent sans cesse eux-mêmes en scène pour qu’on les « like » alors qu’ils n’en ont rien à faire de cet « amour » des autres, c’est juste par pure vanité, par pure égocentrisme. On creuse, on nivelle vers le bas, on encourage le vide, la médiocrité, le paraître. Avoir au lieu d’être. Les gens postent davantage de selfies, et je parle bien des photos d’eux-mêmes prises par eux-mêmes où ils sont seuls dessus, que des photos de gens ou endroits qu’ils aiment. Mais bon, au fond, la vanité est un thème très mortuaire aussi. En peinture, c’est une allégorie de la mort, de la futilité et du caractère frivole de la vie. Ça veut surtout dire « tu peux parader et faire le beau tant que tu veux mais n’oublie pas que tu vas mourir ». Donc ça reste dans le même registre. Dans « Que la Bête Meure », mais aussi dans « Roi des Rats », je parle également de la mort mais sous un autre angle, d’une autre façon. La mort est un thème extrêmement central, à absolument tout, car c’est la seule et unique finalité. Depuis la nuit des temps, les gens ont besoin de la mort comme catharsis, ils ont besoin de sacrifices. Ça les rassure. Ça leur permet aussi d’expier. Les chasses aux sorcières, les inquisitions, les bûchers, pendaisons, etc… On vient de Rouen, la ville qui est célèbre pour avoir brûlé Jeanne d’Arc sur une place publique. Encore aujourd’hui hein, les gens ont besoin de coupables, de punir, de verser le sang, de faire des exemples. Et d’assister à tout ça. Les exécutions ont toujours été un spectacle qui attirait beaucoup de monde. Si demain, tu pends Patrick Balkany en place publique, ce sera bondé de monde, y compris de personnes BCBG, bien sous tous rapports, qui viendront peut-être même avec leurs enfants. Les gens veulent des coupables. La vérité n’aide en rien, ce n’est pas salvateur. Le sang, le châtiment, oui en revanche.
Gu. (batterie) : Notre chanteur est le mieux placé pour parler de sa propre écriture. De ma position, je suis heureux que les textes soient aussi soignés. Ça change ! Cette ferme volonté d’être connecté avec l’auditeur, pour ma part, je ne sais pas. En tout cas ce n’est pas ma démarche. Avec mon humble expérience, j’essaie déjà de faire sonner les choses avec ce qu’on a. Aucun de nous n’est à ce degré de réflexion. Et je ne pense pas que ça soit productif non plus par rapport à ce que l’on joue. Ce qui nous anime dans une œuvre, c’est sa personnalité, sa sincérité, son authenticité, blablabla… Faire pour plaire, ça aseptise et nous éloigne de nous-mêmes. Ce n’est pas de l’égoïsme, mais juste ça fait du bien de balancer les choses comme on l’entend. C’est plus simple aussi. Ça sort juste comme ça sort. On vise à garder une réelle spontanéité, le plaisir de jouer ensemble, avec ce que l’on sait faire. Ça aussi ça se sent dans des morceaux : l’intention.
Le groupe se nourrit de beaucoup d’influences, peux tu nous expliquer comment se déroule la composition ? Tout cela a l’air assez naturel pour vous!
Gr. On en parlait donc tout à l’heure, mais oui c’est très très naturel, très très instinctif. J’ai utilisé le terme « primitif » mais pas du tout de façon péjorative. C’est notre guitariste qui est le grand compositeur de Pilori. C’est un réel plaisir de travailler avec lui car c’est quelqu’un de très créatif, qui a beaucoup d’idées, qui a une très grande culture musicale. De toute façon, quand il m’a proposé que l’on monte ce groupe ensemble, j’étais ravi car je voulais vraiment jouer avec lui. Le processus est simple, et je pense commun à beaucoup de groupes : il amène la matière première, beaucoup de matière même, et ensuite on travaille ça tous ensemble. Comme je le disais, il fourmille d’idées, mais il y a aussi un truc encore plus génial : il n’a pas d’ego surdimensionné ou de fierté à la con. Du coup, c’est facile, c’est évident. C’est très plaisant. Il y a presque deux ans, nous avons changé de batteur, et je crois que ça a été la meilleure décision prise dans ce groupe. Depuis son arrivée, tout est encore mieux. Mon batteur et mon guitariste se sont trouvés, comme un coup de foudre musical, alors qu’ils ne se connaissaient pas vraiment avant. Ils s’entendent à merveille, ils parlent le même langage, ils tirent dans la même direction. Donc, lorsque l’on bosse la matière première amenée par notre guitariste, que l’on essaie de modeler les riffs, d’agencer les morceaux, de les structurer, ça se passe de façon assez évidente. Pas de prise de tête, c’est très collégial. Tout ça nous a fait prendre du niveau, ça nous a élevés, et je pense que c’est aussi une des clés du son de l’album, de son rendu. Des gens carrés, rigoureux, investis, qui travaillent ensemble pour arriver à un but commun, main dans la main, sans tirer la couverture à soi. Pour revenir sur les influences, elles sont aussi larges que diverses et variées. On en a également déjà parlé plus haut, mais nous n’avons jamais voulu juste faire que du crust, ou que du grind, ou que du death, ou que du black. On ne s’est jamais dit « non, ne jouons pas ce riff là, car il fait trop ceci ou trop cela » ou encore « il faudrait que l’album sonne de la façon X ou Y donc composons absolument ce genre de riffs » voire « tiens, ça en ce moment c’est le truc qui marche, c’est le truc à la mode, jouons ça, ça va plaire ». Au cours de cet entretien, j’ai cité des groupes, des genres, etc…, mais ça va encore bien au-delà de tout ça. Nous n’écoutons pas et nous n’aimons pas que de la musique dite « extrême ». Je ne sais pas comment ni à quel point ça peut jouer, mais d’autres influences que l’on a et qui n’ont rien à voir avec tout ce qui va être punk/metal/hardcore doivent aussi peser dans la balance. J’en suis certain. Et forcément, tout un tas d’autres trucs influent sur notre musique et notre façon de la faire : nos personnalités par exemple. Le gars que tu es et les gars avec qui tu joues, l’ambiance qu’il y a, les liens qui se créent, etc… Ce qui t’arrive dans la vie à l’instant T où tu composes. Est-ce que tu t’es fait larguer ? Est-ce que t’as perdu ton taf ? Est-ce que tu vis un deuil ? Ou est-ce que tu est tombé amoureux ? Est-ce que tu viens d’avoir ton premier enfant ? Pareil ça fait forcément partie de toute la face immergée de l’iceberg de la composition, c’est évident.
Gu. (batterie) : Comme dit précédemment, je pense que les choses viennent d’elles-mêmes. On ne se pose pas plus de questions. On joue, on tente des choses. Si tout le monde sourit, c’est que c’est bon. Nos influences personnelles sont très diverses. Perso, je suis très loin de n’écouter que du métal par exemple. Mon groupe préféré actuellement, c’est A Winged Victory for the Sullen et il n’y a même pas de batterie. Je dois avouer aussi que notre guitariste facilite grandement la tâche sur les étapes de composition. Ça sort tout seul, c’est fou. Et en plus, avec le sourire. Pour l’ anecdote, tout le milieu du morceau de « Que La Bête Meure » a été composé littéralement lors d’une improvisation avec les mêmes variations que sur l’album, juste lors d’une répète guitare-batterie. Ce genre d’expérience ne m’était jamais arrivé auparavant.
Souhaitez-vous ajouter un mot final ?
Gr. : Non, pas spécialement. Enfin si, merci à toutes celles et ceux qui nous soutiennent d’une façon ou d’une autre. C’est très important pour moi, et ça le devient encore davantage, plus l’on avance et plus l’on fait de choses concrètes avec ce groupe. On y met du temps, de l’envie, on s’investit, on y consacre beaucoup d’énergie. Je pourrais faire mon poseur en jouant le mec con et blasé sans humilité, mais je préfère sincèrement être reconnaissant. Donc merci à toi pour cette interview car c’est la première faite autour de cet album, merci aux autres chroniqueurs qui ont écrit sur nous ou vont le faire, merci à celles et ceux qui sont venus et viendront nous voir jouer, merci aux gens qui commandent du merch et des skeuds, et même merci à ceux qui téléchargent de façon illégale notre son car même ça c’est très important. Je ne suis pas contre le fait que l’on pirate mon groupe, tant qu’on l’écoute, c’est de loin le principal. Bon après, ce serait con de le faire car l’album est en téléchargement libre sur notre Bandcamp ! Et puis, je viens de me rendre compte que j’ai commencé à répondre à cet entretien par un « merci », je boucle la boucle en finissant par un « merci ». Mes parents seront contents de voir qu’ils m’ont bien élevé.
Gu. (batterie) : Merci pour cette interview. C’était ma première. Et merci aux personnes qui nous soutiennent!
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