Bonjour à vous deux !
Acheron et Skoll, vous êtes tous les deux Rémois, et vous avez tout récemment monté un duo, appelé Solaris, dont voici à présent le premier fruit autoproduit : Montessor. Il est disponible sous format numérique depuis le 14 juillet, et vient juste de sortir en CD.
1 – Racontez-moi un peu la genèse de Solaris. Quand et comment ce projet de groupe est-il né ?
Achéron : Début 2019, une connaissance m’a proposé de créer un groupe orienté Black Metal ; un style que j’apprécie particulièrement. De mon côté, je n’avais pas participé à un projet depuis plusieurs années, après quelques mauvaises expériences. De fait, j’ai été tout d’abord réticent ; puis j’ai fini par accepter. Le groupe s’est alors rapidement formé avec quelques potes, mais malheureusement, les problèmes sont rapidement réapparus, et le projet s’est arrêté après quelques répétitions. Mais j’ai voulu continuer, car j’avais démarré un processus de composition que je voulais mener à terme. Je me retrouvais donc seul.
En gardant le nom du groupe, j’ai commencé à composer quelques morceaux chez moi. Puis Skoll, que je connaissais depuis peu, a rejoint le projet. Nous partagions pas mal de points de vue sur la musique et sur la manière de voir le monde ; c’était un bon début. Ensuite, d’autres amis et connaissances ont intégré le projet, mais ne se sont pas vraiment investis. Puis le premier confinement a encore compliqué l’évolution du projet. Après pas mal de conflits internes et de remaniements, nous avons décidé, avec Skoll, de continuer Solaris à deux.
Skoll : J’ai rejoint Solaris fin 2019. L’idée de rejoindre un groupe me plaisait bien, et je savais déjà qu’Achéron travaillait sur un projet, bien qu’humainement, ça ne se soit pas très bien passé avec les autres membres.
Nous sommes allés au Tyrant Fest en 2019, voir Mayhem. Concert absolument génial. En sortant, on s’est dit qu’il fallait reprendre le projet pour faire du Black Metal sombre et torturé inspiré des années 90.
2 – Reprendre le folklore ardennais est une première dans le Black Metal, et peut-être le Metal de manière globale. Pouvez-vous me parler un peu des mythes et légendes locaux que vous avez repris dans votre album ?
Achéron : Aux débuts de Solaris, les thèmes abordés faisaient références au paganisme scandinave ; mais quand je me suis retrouvé seul, l’orientation a changé. En effet, les mythes germano-scandinaves sont légion dans le Metal, alors que notre pays possède un folklore régional très riche. J’ai donc décidé d’exploiter mes connaissances sur nos légendes locales pour en faire un projet qui tienne la route.
Le thème principal de Montessor fait référence à une chanson de geste du Moyen-Âge, celle des “Quatre fils Aymon”, indissociable de nos Ardennes. L’histoire oppose les fils du Duc Aymon, vassal de Charlemagne, à l’empereur lui-même. Lors d’une partie d’échecs opposant Renaud, l’aîné de la fratrie, et Bertolai, le neveu de Charlemagne, ce dernier l’accuse de tricherie. Une rixe éclate alors entre eux, et se solde par la mort de Bertolai. En colère, Charlemagne les poursuit avec ses armées jusque dans les Ardennes, réputées pour leurs forêts impénétrables. Ils sont aidés dans leur fuite par leur cousin Maugis, personnage peu connu ; c’est notre Merlin ardennais. Enchanteur et ennemi païen du roi des francs, il leur sauvera la mise de nombreuses fois, et leur fera don du cheval Bayard, autre figure du monde païen, détesté par Charlemagne. Un titre de l’album fait référence à la chasse sauvage, archétype européen que l’on retrouve dans les Ardennes Belges (Fagnes) et françaises (Bohan). Un autre parle du Verbouc, hybride homme-bouc christianisé en animal de compagnie du diable.
3 – Êtes-vous, tous les deux, originaires des Ardennes ? Pouvez-vous nous raconter un peu votre histoire avec cet endroit ?
Achéron : Je suis originaire de Revin, petite ville ouvrière au cœur de la vallée de la Meuse. Bien qu’ayant grandi à Reims, et vécu dans plusieurs villes de France et en Amérique du nord, mes pas m’ont toujours ramené vers mes forêts natales. J’y passe beaucoup de temps, et je compte m’y réinstaller d’ici-peu. Ces grands espaces forestiers m’ont toujours fasciné, et les mythes liés à ces endroits y sont aussi pour beaucoup. Le massif des Ardennes est très vieux ; ce sont des montagnes érodées, autrefois similaires aux Alpes, datant de l’ère du Cambrien. Cette vallée pittoresque regorge d’histoires surnaturelles qui sont profondément ancrées dans la culture locale.
Skoll : Je suis originaire de Reims, mais depuis tout petit, je vais souvent dans les Ardennes. Je n’ai découvert la vallée de la Meuse que tardivement cependant, et j’ai été tout simplement époustouflé par les paysages. Nos contrées sont magnifiques, et il y a des endroits qui ont une aura particulière. Les Ardennes prennent aux tripes, et j’y retrouve quelque chose de spirituel.
4 – En-dehors des légendes régionales, quelles sont vos influences et vos sources d’inspiration ? Bien sûr, il peut s’agir de groupes, mais aussi de cinéma, de littérature, et de bien d’autres choses.
Achéron : Musicalement, les groupes qui m’ont inspiré pour l’écriture de Montessor sont essentiellement des groupes de Black Metal : Satyricon, Immortal, Hate Forest, Summoning… Du côté littéraire : des écrivains comme Lautréamont, Lovecraft, Tolkien, Goethe… Et bien sûr, une source d’inspiration importante : la nature elle-même. Marcher dans la forêt est une expérience initiatique : on y entre et on s’y perd. C’est un labyrinthe qui nous change à chaque fois que nous y pénétrons, quand on arrive à saisir – pour les plus réceptifs – la dimension sacrée que nous offrent ces moments de marche, que l’on soit accompagné ou dans une solitude introspective.
Skoll : Comme pour Achéron je trouve beaucoup d’inspiration dans la nature, en observant les arbres et les rivières, en levant la tête par une nuit étoilée. Musicalement, j’aime beaucoup ce qui se rapporte à ce que j’appelle la « fureur mélancolique ». C’est à dire du Black Metal sombre et violent, avec des riffs mélancoliques. Je peux citer Hate Forest, les vieux albums de feu Kaldrad, qu’il a composés pour Branikald et Forest.
5 – Quels instruments, et quel matériel avez-vous utilisés pour composer cet album ?
Achéron : On a tout enregistré avec une carte son Line 6 UX2, des presets que nous avons créees nous-mêmes. Faute de batteur, nous avons programmé la batterie. Pour les guitares, j’ai utilisé une Jackson Pro King-V montée en Saymour Duncan Manche et chevalet. MusicMan pour la basse. Les parties claviers viennent d’un synthétiseur Korg, et les pistes ont été enregistrées avec Cubase. Le mastering a été bouclé par HGH du groupe Elitism.
Skoll : Pour le chant, on a utilisé une carte son Scarlett de chez Focusrite et un micro quelconque. Une grosse partie du son s’est fait numériquement sur Cubase au mixage, via des choix artistiques et aussi en fonction de nos moyens.
6 – Quel sont vos rôles respectifs, dans Solaris ? Je crois que vous êtes deux à chanter, ne serait-ce que sur un titre, « Le Verbouc », où il m’a semblé entendre deux voix se croiser et se répondre.
Achéron : J’ai composé tous les morceaux dans leur intégralité, basse, guitares, textes et clavier. J’interviens sur quelques doublons en backing vocals.
Skoll : J’ai programmé la batterie, chanté en black et en grave pour les doublons, enregistré et mixé l’album.
7 – On ne peut que remarquer les paroles, qui sont très travaillées. Qui les a écrites ? Ont-elles précédé la musique, ou sont-elles venues à la suite ?
Achéron : J’ai écrit les paroles. La plupart des textes ont été conçus après la musique, car j’avais déjà composé plusieurs morceaux avant de changer les thèmes abordés dans cet album. J’ai voulu opter pour un style moins prosaïque, plus poétique et rythmé. Les textes sont un hommage au paganisme et se montrent vindicatifs et véhéments envers les trois grandes religions monothéistes. J’aime d’ailleurs assez ce décalage entre les vers en alexandrins et ce qu’ils contiennent. C’est parfois subtilement haineux et agréable à lire, ce que je trouve amusant. L’impact émotionnel n’est pas le même que sur une composition écrite classique. C’est un blasphème, une provocation, une liturgie païenne s’appuyant sur un langage que je voulais soutenu. J’ai d’abord eu du mal à coucher des mots sur ces mythes. Ayant baigné dedans toute ma vie, ils me paraissaient si évidents que je n’arrivais pas à donner à mes écrits cette dimension poétique que je recherchais. Le premier texte m’a pris un bon mois à écrire. La suite est venue très naturellement.
On compare parfois l’Ardenne à la Bretagne ; la première a ses nutons, son enchanteur, ses forêts, et la seconde a ses Korrigans, l’océan… et aussi son enchanteur, bien plus connu que Maugis. Les Ardennes sont naturellement associées à la magie, aux fées, aux elfes, et autres créatures de la forêt, ce qui lui donne une image apaisante, accueillante. Avec Solaris, nous avons voulu montrer un aspect plus sombre, antique et dangereux, où il ne fait pas bon vouloir christianiser et diaboliser nos légendes et ces lieux habités par nos génies païens. Nous représentons cette face sombre, dans nos créations et dans notre vie de tous les jours, nous considérant nous-mêmes comme païens et profondément anti-monothéistes.
8 – Impossible de passer à côté des artworks, qui sont bien exécutés : je remarque qu’ils sont assez rudes, tout en traits et hachures, un peu à la manière des gravures. Qui en est à l’origine ? Et est-il prévu que cet artiste vous accompagne dans vos projets ultérieurs ?
Achéron : Je voulais une illustration pour chacun des textes, afin d’avoir un contenu plus riche et plus sombre. Une amie tatoueuse m’a orienté sur une apprentie, Elisa «D.A.G.O.N», à qui j’ai parlé du projet. Le style en mode gravure qu’elle nous a proposé correspondait bien à l’imagerie médiévale de Montessor. Je lui ai ensuite envoyé les textes, avec quelques directives, afin de l’aider dans son inspiration. Nous avons reçu un premier dessin, qui nous a tout de suite plu. Nous nous sommes donc mis d’accord pour le reste. La couverture de l’album a été faite par Silentwood.art, des italiens que j’ai contactés via Instagram. Le logo a été dessiné par un de mes amis, Ben Aktraizer. Pour les projets futurs, j’ai déjà contacté d’autres collaborateurs ; le rendu graphique sera donc différent. Nous n’envisageons pas de retravailler avec Elisa pour le moment.
Skoll : Nous verrons bien en fonction de ce que nous chercherons sur le moment.
9 – Auriez-vous des anecdotes particulières à nous raconter autour de la création de cet album ?
Achéron : J’avais ce clavier Korg qui traînait dans mon salon depuis pas mal d’années, laissé là par un pote qui était venu vivre provisoirement chez moi, et qui était parti en me laissant pas mal de bordel… dont cet instrument. Avec le temps, il a fini par faire partie des meubles. Un jour, j’ai voulu le brancher, mais aucun son ne sortait ; j’ai pensé qu’il était foutu, et j’ai projeté de le mettre à la déchetterie. Le jour suivant, Skoll se pointe chez moi ; je lui explique l’affaire, toujours décidé à m’en débarrasser. Mais il a d’abord voulu l’essayer ; on l’a donc branché sur la carte son, et il s’est avéré que cet engin fonctionnait très bien ! J’allais jeter un synthétiseur de plusieurs centaines d’euros !
Skoll : Le son du cor sur “La Chasse Sauvage”, ainsi que les voix pour le Prologue, ont été enregistrés dans une vieille ardoisière de la Vallée de la Meuse. Nous y avons accédé moyennant 45 minutes de marche en pleine nature, sous la pluie et dans la boue, avec notre équipement. Il a fallu enregistrer le son dans le noir, et avec l’écho de l’ardoisière, le son nous enveloppait. En sortant, on avait l’impression d’avoir réveillé le Balrog des Ardennes. C’est un bon souvenir.
10 – Prévoyez-vous de donner des concerts, ou votre duo préférerait-il rester dans l’ombre ?
Achéron : Oui, on doit d’abord s’organiser pour trouver des musiciens live. Pour ce qui est de la conception des futurs projets de Solaris, nous resterons en duo.
Skoll : Travailler en duo a ses avantages ; nous avons une certaine conception de la musique qu’on ne pourrait pas forcément exprimer pleinement avec tout un groupe.
On a hâte de pouvoir tester les morceaux en live.
11 – La scène Metal me semble assez peu développée dans la région, et la scène Black Metal d’autant plus. Est-ce aussi votre avis ?
Achéron : Oui, malheureusement, ça fait longtemps que le Metal extrême a fui nos contrées. En ce qui concerne le Black Metal, ce n’est pas vraiment étonnant. Personnellement, peu de nouveautés m’intéressent ; je reste un grand amateur de la période 90. C’est un style difficile à renouveler, impossible à réinventer, et qui plus est, peu apprécié en général. Mais on est là, et on va faire bouger des têtes !
Skoll : Peu de nouveautés m’intéressent, mais il est vrai que comparé à d’autres régions comme la Bretagne ou même à Nancy, on est peu servis en termes de Black Metal. Il va falloir mettre la scène en valeur, à notre échelle.
12 – Actuellement, avez-vous déjà un nouveau projet en gestation ?
Achéron : Oui, cela se passera toujours dans les Ardennes. Les thèmes principaux feront référence aux pratiques occultes et à la sorcellerie. Nous avons déjà quelques débuts de riffs bien prometteurs. L’écriture commencera début 2022. Nous réfléchissons aussi à un projet de festival dans les Ardennes, au cœur de la vallée de la Meuse, avec en soutien la fédération Ward Wallonie Ardenne, qui promeut, depuis plusieurs années, la culture et le folklore ardennais dans notre région et en-dehors.
Skoll : L’idée de faire un festival dans les Ardennes est dans notre esprit depuis un petit temps. On le fera un jour moyennant de bonnes rencontres aux bons moments, et du temps pour que techniquement, tout soit réalisable. Affaire à suivre, donc..
13 – Comptez-vous démarcher des labels pour vos futures productions ? Et si oui, lesquels auriez-vous en vue, éventuellement ?
Skoll : Pour le moment, nous nous produisons nous même, estampillés Metal Noir Ardennais. Nous verrons par la suite si une collaboration avec un label se fait pour une plus large distribution.
Merci beaucoup, Achéron et Skoll, de m’avoir accordé votre temps pour cette interview. Je souhaite à votre album la réussite qu’il mérite, et je vous souhaite bon courage pour vos projets futurs. Enfin je rappelle, à ceux qui souhaitent le découvrir, que votre album Montessor est disponible en CD et en numérique sur votre Bandcamp.
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Une réponse
Bonjour à tous,
Carolomacérien de naissance, j’aime les Ardennes, et surtout ses forêts, qui m’ont apporté beaucoup de joie et de souvenir, enfant… Les paysages et la nature font de ce département un joli « moment » pour se reposer et réfléchir.
Je vis maintenant à Vitry Le François mais je retourne souvent à Nouzonville y rejoindre les miens.
Je vous remercie pour toutes les informations que vous nous avez dévoilés, j’ai hâte de vous voir sur scène.
Bonne continuation à vous deux.
Boris T.